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Léna NEUVILLE
Chargée de Planification territoriale
aua/T
Note de la rédaction : par commodité, nous avons choisi de faire de Luc Spot, le protagoniste fictif de cette chronique. Luc officie à l’aua/T. Il est la synthèse, forcément imparfaite mais riche d’expériences, de plusieurs chargés de projet de l’agence. À son actif, quelques PLU, un PLUi et deux ou trois SCoT. S’il a de la bouteille, il a gardé foi en la planification territoriale ; « la planif’ c’est de la stratégie », tel est son credo répété à l’envi à des collègues plus circonspects.
Depuis le SCoT du Midi toulousain, le bureau de Luc ressemble à une succursale de papeterie. Jetons, post-it, gommettes… ont colonisé les étagères de leurs couleurs vives, dans l’attente d’un nouveau Territorial Pursuit 1. Au mur, des posters A0 affichent des fleurs et des arbres schématisant les ramifications stratégiques du PLUi d’Albi, du SCoT de Gascogne… un visuel végétal qui a bien fonctionné, se félicite Luc.
Car, à l’agence comme ailleurs, l’animation dite « agile » a gagné les exercices de planification territoriale. Le besoin d’animer autrement les réunions est une réalité à l’œuvre dans de nombreuses structures, publiques ou privées. En effet, après quelques décennies d’usage de PowerPoint, il est permis d’affirmer que réunir une vingtaine de personnes autour d’une table pour asséner 40 diapositives surchargées en texte n’est pas forcément l’entrée en matière idéale pour susciter du débat, a fortiori en début d’après-midi.
Luc en sait quelque chose, d’autant plus que, lorsqu’il s’agit d’un SCoT ou d’un PLU, mobiliser une équipe d’élus et de techniciens sur un exercice long, réputé technique, relève du sacerdoce. C’est pourtant un impératif car il s’agit bien, au fond, de faire émerger un projet de territoire, chose éminemment politique.
S’engager dans une élaboration ou une révision d’un document d’urbanisme, c’est du long cours ; de l’avis de Luc, « deux ans, c’est un minimum pour une révision… jusqu’à l’arrêt [du document] évidemment ! 2 », et encore… l’avènement des PLU intercommunaux a nettement rallongé les procédures. Et puis Luc reste hanté par le spectre d’un SCoT qui a épuisé deux équipes d’élus et presque autant de techniciens. De tels allongements de calendrier sont suffisamment courants pour que chacun ait en tête que la seule certitude en matière de planification, c’est celle du temps long.
La loi SRU a fait de la vision d’ensemble du territoire le socle du document d’urbanisme. Les lois Urbanisme et Habitat, Grenelle, ALUR… ont transformé la démarche planificatrice en exercice technique très encadré : calculs de la consommation et des gisements fonciers des dix dernières années, identification des continuités écologiques… autant de figures imposées qui s’enchaînent, au risque de confisquer le débat tant celui-ci se concentre sur les méthodes employées, laissant l’élu de côté. L’on en perdrait presque de vue le projet. D’aucuns murmurent même qu’on pourrait faire un PLU ou un SCoT réglementairement irréprochable… mais dépourvu d’ancrage territorial ! Luc trouve que c’est pousser le bouchon un peu loin, mais il sait que beaucoup d’élus vivent le SCoT et le PLUi comme des obligations qui ne leur offrent plus de cadre pour élaborer une stratégie. Et c’est ainsi que fleurissent en parallèle des projets d’agglomération, des exercices de prospective… répondant aux attentes des élus en matière de projet, rarement articulés aux documents de planification, contribuant ainsi à alimenter l’antagonisme « planification versus projet ».
Lucide, Luc sait que les lourdeurs du Code de l’urbanisme ne sont pas seules en cause et que le technicien a une responsabilité dans la mobilisation des élus.
Définir les besoins des élus en matière d’acculturation à la planification, de connaissance du territoire, et prévoir des modalités de dialogue adaptées requièrent une lecture fine des jeux d’acteurs. Quelles sont les forces en présence dans la gouvernance du projet ? Quels élus vont constituer « le noyau dur » du suivi de la démarche ? Quelles autres strates d’élus faudra-t-il mobiliser ? Et à quelles étapes ? Où se situent les antagonismes ? Quels sont les élus aguerris ?… « Du bon sens ! » clame Luc. Facile quand on travaille sur un territoire depuis des années… mais il suffit d’un nouveau territoire de projet ou d’une nouvelle équipe d’élus pour sortir de sa zone de confort. Dans ce cas, mieux vaut opter pour une méthode souple, itérative, qui s’affine au fur et à mesure que la gouvernance se précise et que les besoins sont mieux compris.
À plusieurs reprises, Luc a dû faire face à un refus des élus de la proposition, classique, de commencer par plusieurs réunions sur le diagnostic. Bonne connaissance des problématiques du territoire, manque de temps, bases de la stratégie déjà posées… autant de raisons d’adapter la méthode. Luc a alors compris que processus d’animation politique et production technique n’ont pas forcément à être liés.
Fabriquer un document d’urbanisme réclame donc une gestion de projet à deux niveaux : la fabrique des pièces obligatoires et la fabrique du débat. Et si le cadre est plutôt clair pour la première, la méthode d’animation réclame du sur-mesure à chaque exercice.
Mener à bien un exercice de planification, c’est ainsi faire appel à des compétences d’animateur. « On n’est pas des animateurs de colo ! » a ricané Luc la première fois qu’un collègue inspiré lui a suggéré d’organiser un quizz sur les représentations du territoire auprès des élus. Il s’y est essayé avec un certain scepticisme ; en partie par peur de se ridiculiser, en partie par crainte que les élus se sentent infantilisés. Mais les questions du quizz, pertinentes, ont permis de rebondir sur des sujets de fond, alors pourquoi pas diversifier les formats, les supports ? Luc a donc commencé à explorer le champ des possibles en matière de techniques d’animation. Il veut désormais aller plus loin que ses expérimentations et passer à la vitesse supérieure. Il a découvert que de nombreuses formations en « agilité » existaient.
Mais Luc, en vieux loup de mer, sait que détrôner le PowerPoint au profit de la gommette n’est pas vraiment la question. Il ne s’agit que d’outils techniques après tout.
Au fond, l’important c’est de cibler les 2 ou 3 grandes questions stratégiques d’aménagement du territoire qui sous-tendent l’exercice de planification, et d’organiser le débat en conséquence. Cela requiert du sur-mesure qui ne passe pas forcément par l’habituelle présentation aux élus de scénarios prospectifs, de préférence « contrastés ». Le contraste résidant souvent dans un quantitatif d’habitants ou d’emplois à accueillir, d’hectares à consommer… Luc s’autorise désormais à rêver d’une démarche qui renouvelle le regard des élus sur leur territoire au moyen d’approches paysagères, sociologiques… ciblées, à combiner entre elles. Et si la réconciliation des élus avec la planification passait davantage par le récit de territoire que par le chiffre exact ?
Et puis, après plus de 10 ans au service de la planification, Luc a pris la mesure de la puissance potentielle d’un document de planification : bien sûr, il s’agit d’avoir un règlement et des OAP opérants pour un PLU ; bien sûr, il est important que le SCoT encadre ni trop, ni trop peu, l’ensemble des PLU sous sa houlette. Mais faire un document d’urbanisme, c’est aussi l’opportunité de créer une scène de dialogue pour les acteurs du territoire, dans un périmètre inédit, permettant de créer des liens, des consensus… un réseau d’acteurs à même de porter le projet de territoire au-delà de la stricte application des outils que sont un PLU ou un SCoT. Alors oui, fabriquer cet implicite est essentiel et mérite qu’on y investisse du temps… et des post-it !
Petit lexique à l’usage des non-initiés
Ndlr : par souci de vulgarisation, les imprécisions juridiques ci-dessous sont totalement assumées.
Document d’urbanisme :
Terme consacré pour désigner un SCoT (schéma de cohérence territoriale qui se conçoit à l’échelle d’un large bassin de vie) ou un PLU (plan local d’urbanisme qui s’élabore à l’échelle d’une commune, ou, de plus en plus, à l’échelle intercommunale). Les cartes communales (PLU simplifiés pour les communes très rurales) font aussi partie du lot. Sans document d’urbanisme, les territoires n’ont que très peu de possibilités de se développer.
Pièces obligatoires :
Désignent les différents documents qui doivent composer un dossier de PLU ou de SCoT : le rapport de présentation (comprenant le diagnostic, la justification des choix, etc.), le PADD (Projet d’Aménagement et de Développement Durable : c’est là qu’on peut lire le projet politique), le règlement et les OAP (Orientations d’Aménagement et de Programmation) pour un PLU (qui gèrent le « droit du sol »), le Document d’Orientations et d’Objectifs pour un SCoT (qui « encadrent » les PLU).
- Jeu support d’animation sur le modèle du Trivial Pursuit.
- Boutade de planificateur : dans le milieu, chacun sait que la phase de l’arrêt à l’approbation d’un document d’urbanisme (comprenant l’enquête publique) est incompressible et échappe à tout contrôle de la collectivité maître d’ouvrage.
Contenu additionnel :
Exemples de documents de planification sur lesquels l’agence a travaillé récemment :
PLUi-H de Toulouse Métropole : https://www.toulouse-metropole.fr/plan-local-d-urbanisme-intercommunal-habitat
SCoT de la Grand Agglomération toulousaine : http://www.scot-toulouse.org/
SCoT de Gascogne : https://www.scotdegascogne.com/bibliotheque/les-documents-du-scot/elaboration